Rencontre avec Didier Déris, Président du Cobaty de la Martinique.

Lors des ateliers du BTP, l’un des axes de progression définis était la Norme tropicale. Êtes-vous toujours attaché à son développement et pourquoi ?

– La plupart des normes mondiales et donc, de celles qui régissent la conception et la mise en œuvre des bâtiments de nos régions, ne tiennent pas compte ni de la spécificité de nos habitats, ni de notre mode de vie, ni de notre climat. Tout simplement parce qu’à l’origine, elles ont été développées dans des territoires à climat tempéré pour être ensuite adaptées à nos régions. Celles-ci sont soumises (pourtant) à un climat tropical caractérisé par des conditions très différentes en termes d’ensoleillement, d’humidité, d’épisodes pluvieux importants, de séismes, de phénomènes cycloniques… Bref, malgré les problématiques radicalement différentes de celles des climats tempérés, nos constructions sont régies depuis des années par des normes et des règlementations inadéquates.

Nous avons tenté d’y palier par la réalisation de règles mieux adaptées. Les « règles Antilles » portant sur la façon de mettre en œuvre les ouvrages sont malheureusement devenues obsolètes. La RTAA DOM traite de l’aération et de l’acoustique dans les logements et ensuite, la RTM (spécifique à la Martinique), relative à la thermique dans les logements, les commerces et les bureaux. Ces normes sont insuffisantes et ne tiennent pas compte de tous les problèmes.

Quelle serait donc la bonne question à se poser ?

– Il s’agirait de se poser cette question : « quelle est la bonne façon de construire sous les tropiques ? » Afin de trouver une réponse, revenons aux fondamentaux en prenant en compte chacun des facteurs climatiques et des risques inhérents à nos régions. Le risque cyclonique n’est visé que par l’euro code 1.4 et le DTU 35 2 pour le calcul. En revanche, il n’existe aucune norme de génie para-cyclonique.

Nos constructions sont soumises à différents aléas et sollicitations telles que le cyclone, le séisme, la pluie, l’humidité, la submersion, la houle, la corrosion, les attaques de xylophages (termites, champignons…). Nous bâtissons sur des sols soumis à des contraintes très lourdes : inondations, glissements de terrain, liquéfaction, sols meubles, etc. Et enfin, nos bâtiments doivent supporter un climat difficile chaud, humide…

Le principe, très français, est que chaque point doit faire l’objet d’une norme spécifique (quand elle existe). On a donc une norme sismique – qui ne se préoccupe nullement des exigences cycloniques – dans laquelle on trouve un classement des bâtiments en fonction de l’enjeu auquel ces bâtiments ont à faire face alors qu’il n’existe rien de tel dans la norme cyclonique.

Encore une fois, à part des recommandations, aucun document règlementaire n’existe ni sur le génie parasismique, ni sur le génie para-cyclonique. Objectivement, ne serait-il pas temps d’établir un seul document tenant compte de l’ensemble de la problématique qui permettrait de concevoir, calculer, réaliser, entretenir, maintenir et démolir nos bâtiments dans le respect des contraintes de notre environnement ? C’est le sens exact de la norme tropicale ! Elle amorcerait notre prise de conscience, nos réflexions, nos études, pour revoir intégralement le mode constructif dans l’environnement tropical. Elle répondrait aux questions dans un contexte durable, écologique et économique :

  • comment concevoir les bâtiments (architecture adaptée, respect de l’environnement, conception parasismique et para-cyclonique, fraîcheur, nuisance…)
  • avec quels matériaux construire (production, certification, empruntes carbone, déconstruction, recyclage…)
  • comment construire (respect des aléas, des problèmes thermiques, acoustiques…)
  • comment entretenir et maintenir les bâtiments (utilisation de matériaux résistant aux dégradations, sélection de matériaux dont le prix et la facilité de l’entretien et de la maintenance sont pris en compte dès l’appel d’offre…)
  • comment déconstruire (matériaux recyclables, non dangereux pour l’environnement…)

Notre position dans la Caraïbe serait-elle déterminante pour devenir experts ?

– Sans aucun doute. Au centre des régions concernées, nous sommes les mieux placés pour devenir chefs de file. D’autant que notre expérience et notre maîtrise de certains risques (notamment en matière de renforcement parasismique) renforcent notre prééminence dans ces domaines. Cette formidable opportunité – à saisir absolument – s’appuierait aussi sur le développement de laboratoires capables de certifier des matériaux et de centres techniques locaux, capables de produire de la recherche sur tous les éléments de cette norme tropicale. A partir de ces data, nous pourrons élaborer, valider des solutions techniques innovantes et asseoir notre position de pilote mondial de la norme tropicale. Fort de ce savoir-faire, nous pourrons adapter nos constructions à notre climat, d’une part, et d’autre part, nous bénéficierons de toutes les conséquences économiques positives de cette initiative qui nous permettra de maîtriser le marché. Cette norme tropicale n’est pas quelque chose de figé mais plutôt évolutive, capable de s’adapter aux avancées technologiques et aux contraintes du futur.

Justement, quelles seraient ces retombées pour notre région ?

– Prescriptrice de ce projet de norme tropicale, la Martinique deviendrait une référence mondiale qui impacterait les constructions dans les Caraïbes mais aussi en Afrique, en Asie du Sud Est, dans l’Océan Indien, la Polynésie, l’Amérique du Sud où les problématiques sont globalement les mêmes.

Au niveau de la Caraïbe, en installant un bureau certificateur en Martinique, nous pourrions devenir un espace obligé où tous les matériaux caribéens qui souhaiteraient entrer sur le marché européen, voire américain du Nord (moyennant signature de contrats de réciprocité) pourraient (devraient) venir se faire certifier. De la recherche sur matériaux pourrait d’ailleurs être menée dans nos centres ce qui ne manquerait pas de générer de l’emploi sur l’ensemble de l’île.

Où en êtes-vous dans l’élaboration du projet ?

– Un CERC (dirigé par Yann Honoré et rassemblant des pôles de compétences, dont les syndicats, la Chambre de Commerce et d’Industrie…) a été créé avec l’objectif de développer des méthodologies dédiées à la recherche et au développement dans la construction. Le premier sujet inscrit et piloté par le CERC n’est autre que la norme tropicale dont le Cobaty, bras armé, dirige déjà les opérations de rédaction et de vérification.

D’autre part, l’AQC (Agence de la Qualité de la Construction), un organisme géré par l’ensemble des assureurs, et le CERC ont signé un contrat cautionnant les travaux relatifs à la norme tropicale et dont la validation conduirait forcément à la création d’un DTU. Pour les assureurs, cet ensemble de normalisations et de règlementations représenterait un moyen radical d’augmenter la résilience des bâtiments face aux catastrophes naturelles. Avec pour corollaires une nette diminution des dommages et une réduction sensible des indemnités versées par les assurances. Depuis ce début d’année, nous nous sommes déjà mis à la tâche !

Vous êtes-vous déjà penché sur cette problématique auparavant ?

– Oui, au cours des missions de coopération pour la France, j’ai pu travailler sur un projet « inter région ». Avec des partenaires caribéens, il s’agissait de dégager des pistes permettant d’améliorer la construction en tenant compte des risques auxquels nos territoires sont spécifiquement soumis. A l’issue du colloque, outre une piste de coopération, nous avions également élaboré, avec les pays participants, un guide sur la méthodologie. Un outil phénoménal qui contient bon nombre d’informations primordiales qui ne manqueront pas de servir le projet de la norme tropicale.