Rencontre avec Jérome Rocher et Régis Guermeur qui, en tant qu’experts et formateurs chez BIM Caraïbes, tentent de faire émerger cette méthodologie. Nos questions, leurs réponses :

Comment percevez-vous l’évolution du BIM aux Antilles ?

RG : On y vient. Les deux plus gros chantiers des Antilles se font en BIM : le CHU de la Guadeloupe et l’aéroport de la Martinique. Autres exemples, la CTM a lancé des appels d’offre portant sur des relevés topographiques et quelques postes sont requis en BIM, notamment pour la numérisation des bâtiments existants

Avec l’objectif d’établir une banque de données permettant d’appréhender la rénovation de gérer la maintenance de ses bâtiments, l’armée (au niveau national) s’intéresse aussi à la modélisation 3D de son patrimoine.

A quels technologies et outils numériques le BIM fait-il appel ?

JR : Le BIM s’appuie sur des outils numériques et des technologies récentes dans la préparation de projets de construction, de rénovation et d’agrandissement. Ainsi, par exemple, la technologie embarquée par drones opère des relevés « photogrammétriques ». Actuellement, on peut également utiliser la technologie du laser 3D terrestres ou aéroportés (Lidar) qui réalisent des relevés « lasergrammétriques » (acquisition de données 3D par nuage de points).

Des scanners 3D modélisent l’existant avec des relevés de cotes, etc. La réalité virtuelle autorise la visite, l’exploration, l’interaction et l’amélioration du projet avant sa construction. Et avec la réalité augmentée, sujet star au dernier salon du BIM à Paris, une étape supplémentaire dans le perfectionnement est franchie : superposer un modèle 3D à une image réelle pour un aperçu instantané, explicite, précis (puisque géolocalisé). Appliquée à la maintenance, la réalité augmentée met à la disposition d’un technicien tous les paramètres exploitables dans son travail. Elle permet même, à travers des parois, de « voir » des circuits afin d’y détecter une défaillance. Sur simple « clic », la référence de la pièce à remplacer apparaît instantanément sur tablette et la commande s’enregistre automatiquement dans la foulée ! Attention, le BIM reste un outil, il aide et améliore la production mais seul, il ne peut rien produire.

Devez-vous encore sensibiliser des entreprises aux avantages du travail en BIM ?

RG : Oui, il nous tient à cœur d’expliciter cette méthodologie qui représente tant d’avantages pour tous les intervenants et à toutes les étapes d’un projet. Le BIM change la façon de travailler des maîtres d’ouvrage, architectes, ingénieurs et entrepreneurs. Il leur permet de collaborer et d’ajouter des informations pertinentes très tôt dans le projet, lorsque les modifications n’ont pas encore de conséquences financières graves. En autorisant les analyses et simulations de performances énergétiques et environnementales, le BIM améliore aussi la production de bâtiments moins énergivores, plus confortables et plus sûrs, c’est-à-dire mieux inscrits dans leur temps.

Y a-t-il des niveaux de développement dans le BIM ?

RG : Oui, dès la conception, le maître d’ouvrage (ou l’AMO – assistant maître d’ouvrage) détermine le LOD – level of development, soit le niveau de détail et d’information des éléments contenus dans la maquette numérique tout au long du processus conception / réalisation. Ce niveau de développement (sur une échelle de 100 à 700) va déterminer la précision géométrique des objets du modèle 3D mais aussi la nature et la quantité d’informations contenues dans ces mêmes objets. Par exemple en LOD 100, un mur n’est modélisé que par son volume extérieur. A LOD 400, sa composition sera détaillée avec les épaisseurs et caractéristiques des différentes couches qui le composent.

A LOD 500, les références fournisseurs des produits sont mentionnées, à LOD 600/700, les besoins en maintenance, la rénovation et les informations nécessaires au recyclage et développement durable des équipements sont intégrés.

Etant donné la précision et le niveau d’information des maquettes numériques, celles-ci deviennent de véritables « avatars » du bâtiment. Le BIM rend alors possible les simulations en temps réel (thermiques, d’ensoleillement, acoustiques…) qui, auparavant, nécessitaient de re-modéliser le bâtiment chaque fois.

L’intérêt pour le maître d’ouvrage qui souhaite utiliser le BIM en phase d’exploitation maintenance est de déterminer dès la conception les informations qui lui seront nécessaires tout au long de la vie du bâtiment pour que celles-ci soient intégrées à la maquette numérique DOE qui lui sera remise lors de la livraison du bâtiment.

Bref, on peut affirmer que le BIM construit, analyse et teste un bâtiment en temps réel avant même de poser la première pierre. Cet outil novateur sert également à vérifier l’adaptation et la cohérence d’un projet, de tester des options (avant prise de décisions) et de mieux communiquer avec un client.

La méthodologie représente un certain coût, comment peut-elle devenir rentable ?

RG : Par rapport à ce qui se fait traditionnellement, travailler en BIM requiert un effort supplémentaire au niveau de la préparation. Le BIM n’a pas pour vocation de modifier la loi MOP, qui régit le processus de construction depuis plus de 30 ans, mais il permet de mieux la respecter. Car il faut bien l’admettre, aujourd’hui, pour gagner un marché, des entreprises n’hésitent pas à sous-évaluer des postes en comptant sur des travaux supplémentaires pour compenser.

Avec le BIM, le calcul est juste de A à Z. Grace à la synthèse numérique, on dénombre beaucoup moins de « surprises » et le nombre de travaux supplémentaires est grandement limité. De plus, en superposant les modèles des différentes spécialités (architecture, structure, fluides…), la maquette numérique prévient et détecte les collisions éventuelles donnant lieu à de réajustements. Ainsi, en phase de construction, aucune modification de dernière minute ne menace la productivité ni les finances. D’ailleurs, en BIM, le dossier d’ouvrage exécuté n’enregistre que très peu d’aléas rencontrés lors de la construction.

Existe-t-il des risques de piratage de données sensibles ? A qui incombe la responsabilité en cas d’erreurs ainsi que la propriété intellectuelle ?

JR : La mise en sécurité des données est un sujet très sensible, plus particulièrement encore si elles concernent des bâtiments militaires, aéronautiques, de haute-sécurité… Leur sauvegarde se fait sur des serveurs internes protégés. En revanche, la démarche BIM nécessite des échanges d’informations via internet et donc potentiellement piratables ou espionables. Cependant des solutions existent car on peut choisir le pays dans lequel sont stockées les données et des dispositifs de sécurisation par cryptage peuvent être mis en place. Quant à la responsabilité engagée d’interventions sur la maquette numérique, elle est relativement simple à déterminer. La maquette étant placée sur une plateforme collaborative, chaque acteur identifié par mot de passe laisse une trace de la moindre action.

RG : Si la question de la responsabilité est d’une importance capitale, il en a va de même pour la propriété intellectuelle des données partagées ne bénéficiant pas à l’origine d’une protection légale (méthodes, procédés, savoir-faire…). En effet, en 2014, il a été décidé de rendre le BIM obligatoire à compter de 2017 pour les collectivités publiques, projet abandonné en 2016 au bénéfice d’une forte incitation.

Aussi, la maquette numérique poursuit-elle son évolution dans une brume et un flou absolus d’un point de vue juridique et réglementaire.

Cependant, qui dit BIM dit mode collaboratif, et cela n’est pas sans conséquence. Il faut accepter ce changement de paradigme dans le mode constructif, accepter l’idée du partage de données…