Des coûts qui arrêtent les élans de réhabilitation de bâtiments

Monsieur Malik Dekoun, à la tête d’une entreprise de désamiantage aux Antilles/Guyane depuis une vingtaine d’années, détaille le coût du processus complet.

Une matière difficile à déceler

Aux Antilles, les bâtiments antérieurs à 97 sont susceptibles de contenir de l’amiante. Une matière qui se trouve dans les faux plafonds, les calorifuges, les dalles de sol vinyle, les colles bitumineuses, les faïences et les enduits. Bref, l’amiante se trouve dans de nombreux bâtiments publics mais aussi chez des particuliers. On rappelle que tant qu’il ne s’effrite pas, l’amiante n’est pas dangereux. En revanche, lors de travaux (même domestiques), on peut, par frottement, libérer des fibres qui se mettent en suspension dans l’air. Un réel danger pour les artisans et les entreprises du second œuvre. Voilà pourquoi les bâtiments font l’objet de prélèvements et de diagnostics obligatoires avant travaux, les particuliers sont concernés par l’obligation d’un diagnostic dans le cas d’une vente.

Il faut savoir que l’amiante est parfois très difficile à débusquer. Dans le cas d’enduits (souvent du « technicoat », un enduit de débullage) recouverts de peinture, l’amiante est invisible à l’œil nu et/ou partiellement présent, donc susceptible d’échapper à tout prélèvement. On applique alors un principe de précaution en considérant le mur comme amianté.

En cours de chantier de préparation, de confinement, d’installation, il arrive de constater une déficience du diagnostic. Dans l’urgence, la seule solution consiste à adopter la procédure de désamiantage, plus lourde, plus risquée et plus coûteuse.

Plusieurs niveaux de danger

En désamiantage, on raisonne en termes de niveaux d’empoussièrement : 1, 2 ou 3, selon que la méthodologie de désamiantage soit plus ou moins agressive. Plus on est offensif sur le matériau, plus nombreuses seront les particules libérées dans l’air*, et plus le processus s’alourdira. Les enduits nécessitent un ponçage fin qui élève le niveau d’empoussièrement, c’est le cas des immeubles Résolu à Grand Camp, en Guadeloupe, un des plus gros chantiers de désamiantage aux Antilles.

Outre les mesures générales, l’employeur estime le niveau d’empoussièrement correspondant à chacun des processus de travail selon trois niveaux :
Niveau 1 : empoussièrement dont la valeur est inférieure à 100 fibres/litre d’air
Niveau 2 : empoussièrement dont la valeur est supérieure ou égale à 100 fibres/litre d’air et inférieure à 6 000 fibres/litre d’air
Niveau 3 : empoussièrement dont la valeur est supérieure ou égale à 6 000 fibres/litre d’air et inférieure à 25 000 fibres/litre d’air

L’employeur transcrit les résultats dans le document unique d’évaluation des risques, mis à jour au moindre changement de niveau d’empoussièrement ou lors de l’introduction de nouveaux processus.

Une réglementation drastique requérant des dispositifs lourds et coûteux

Le désamiantage s’exécutant sous confinement et sous dépression mesurée, les bâtiments sont intégralement enveloppés. Des extracteurs amènent et canalisent l’air de l’extérieur vers l’intérieur de l’espace traité, 24h/24, afin d’éviter que l’amiante ne se disperse. D’ailleurs, des tests réguliers effectués par des bureaux de contrôle, en début, en milieu et en fin de chantier, vérifient qu’aucune particule ne circule aux abords du bâtiment.

Le désamiantage se fait en adduction d’air (protection optimale) ou en ventilation assistée, en fonction des empoussièrements. Ainsi, tels des plongeurs, les opérateurs sont reliés à une centrale d’air extérieure qui les alimente durant leurs interventions. Cette unité contrôlée en permanence, vérifiée et étalonnée chaque année peut alimenter quinze personnes. A cet appareillage se connectent des dispositifs prenant le relais en cas de coupure de courant.

Un harnachement complexe et des formations régulières

Le coût est fortement impacté par les formations et les remises à niveau requises (en métropole) pour tous les intervenants : encadrement technique, personnel de chantier, opérateurs…

Le matériel – masque adapté à la morphologie, combinaison, bottes… – est extrêmement coûteux et doit subir des contrôles en salle blanche menés par un expert habilité. D’autre part, à l’exception des bottes et de certains masques, l’ensemble des vêtements s’inscrit comme du consommable : à usage unique et traité ensuite comme du déchet pollué.

A l’issue de leur intervention, les opérateurs passent impérativement par un sas de décontamination où ils subissent deux douches (dont les eaux sont filtrées) afin de se débarrasser de tout résidu de fibre. Les déchets transitent par un sas spécifique où ils suivent une procédure de décontamination. Là, ils sont conditionnés, scellés et expédiés, selon une procédure appropriée, vers des installations de stockage pour déchets dangereux en métropole.

Un temps de travail restreint, adapté à la pénibilité et à la chaleur

La réglementation prévoit des interventions par vacation de 2h30 maximum (durée ajustée selon la pénibilité). Chaque opérateur peut totaliser trois vacations par jour, sans pour autant dépasser 6 heures. Le temps de vacation inclut l’habillage, le déshabillage et la décontamination, soit 1h30 sur les 6 heures permises. Et plus la température s’élève, plus le temps de travail se réduit (à cause de la pénibilité), voilà pourquoi les journées de travail doivent commencer tôt aux Antilles.

Tous les déchets liés aux matériaux inertes contenant de l’amiante (vêtements compris) sont triés selon leur nature et font l’objet de déclarations administratives permettant une traçabilité indispensable. Ils sont conditionnés et scellés dans des emballages appropriés, étiquetés selon les modalités prévues par la réglementation. Le producteur des déchets est tenu d’établir un bordereau de suivi de déchets d’amiante (BSDA). Cette procédure, présente tout au long de la filière, vient gonfler la gestion administrative complexe qui démarre bien avant le début d’un chantier et se termine avec l’enfouissement en exutoire (en métropole).

Quelle que soit la superficie à désamianter, les procédures, les contraintes et les dispositifs s’avèrent lourds, complexes et longs à installer. Il en découle un prix de revient au m2 extrêmement élevé qui peut freiner des particuliers, des entreprises privées et même les pouvoirs publics, maîtres d’ouvrage de nombreux bâtiments en attente d’un désamiantage avant rénovation ou démolition.

* Les protections sont efficaces jusqu’à un certain seuil. Au-delà d’un dégagement de 25 000 fibres/litre d’air, il est impossible de désamianter en toute sécurité. Cependant, des tests ont permis de retenir une méthodologie susceptible de réduire le taux de fibres générées en procédant par aspiration à la source, avec rotation ralentie des outils et travail sous nébulisation.

Les déchets d’amiante libre sont classés en trois catégories :

  • Les déchets de matériaux amiantés, isolés ou mélangés avec d’autres déchets ou matériaux, et qui peuvent facilement émettre des fibres sous l’effet de chocs ou de vibrations
  • Les déchets issus de pièces d’équipements usagés (sacs, filtres d’aspirateurs et d’extracteurs, outils et accessoires non décontaminés, films plastiques, EPI, chiffons)
  • Les résidus de traitement des eaux de décontamination, les poussières aspirées sur le chantier, les boues, soit tous les débris et poussières provenant du chantier.